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Cailloux aléatoires

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Je les sème au fil de l'eau. Parfois mots, souvent images, toujours bruts.

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[vendredi 19 décembre 2003]

Chemin familier (21:29)

Rassurer
Verrouiller
Éviter
Domestiquer
Oublier
Marcher
Poser
Attendre
Abandonner
Dormir

En marge de mon histoire calédonienne, se dessinait le parcours de ma forteresse illusoire. Et ce chemin des objets familiers ne pouvait, un jour, que se heurter à mon propre corps. J'emprunte une dernière fois, pour ce journal, le petit sentier rassurant. Il sera grand temps, ensuite, de tourner la page.

[ L e - C h e m i n - F a m i l i e r ]

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[mercredi 17 décembre 2003]

Squelette (14:30)

Déstructuration du squelette
Ossements d'origine humaine
Fragments de colonne
Sexe male

Statique rachidienne normale
Présence d'une lombalgisation bilatérale de S1
Présence d'une lyse isthmique bilatérale de S1
Disques d'épaisseur normale.

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[mardi 16 décembre 2003]

Le rire (22:59)

Il fut dit que, ce soir, j'allais rire. Ce fut même chose répétée avec insistance, refrain obsédant auquel je ne trouvais aucun échappatoire. Et je me surpris à y croire avant de finalement m'en persuader. Je ne pouvais que m'en exciter. Je devais m'y préparer et, dans cette unique perspective, passer la journée à jouer des lèvres que six mois de présence sur le territoire avaient désespérément scellées.

Ce soir, sans aucun doute, j'allais rire, de ce même rire qui, ici, se cache et ne s'échange que dans des clans à la généalogie soigneusement entretenue, de ce rire qui circule au sein de groupes hermétiques dont les membres n'acceptent de tisser des relations amicales qu'à la seule condition qu'elles soient suffisamment fortes pour se confondre avec les liens du sang, comme s'il n'était d'autre amour possible que celui qui unit père à son fils, frère à sa soeur, oncle à son neveu, comme si l'affection n'était avant tout qu'une monstrueuse affaire de famille. Et sont ainsi exclus de cette communion salvatrice les amants de passage, les voyageurs d'un jour, les métropolitains en transit dont je suis l'un des représentants. Alors pour goûter à mon tour aux éclats qui se dérobent, il ne me reste guère d'autre choix que celui de chercher, parmi les parias intérimaires, les voleurs de paradis, les inconditionnels des îles, les professionnels des lagons, les arpenteurs des plages, quelques bouches ne demandant qu'à s'abandonner... Sauf que ces réunions forcées du bout du monde ne fonctionnent que très rarement: le rire artificiel s'étrangle dans la gorge, ne ruisselle ni n'éclabousse comme il devrait le faire pour amorcer la réaction en chaîne préparant l'explosion dans une gerbe d'émailles blanches. Ce bricolage mal fagoté d'expatriés trop dissemblables, unis seulement dans l'exclusion, est presque toujours voué à l'échec.

Mais pour ce soir, tout devait être différent. Le missionnaire de l'impossible prenait l'apparence d'une ancienne connaissance de ma femme, rencontrée par hasard au centre ville de Nouméa après sept longues années d'anonymat. Mon épouse en gardait l'image d'un homme qui saurait nous faire oublier les précédentes faillites. Malheureusement, l'humour fut sous Prozac. Sept ans d'absence pour sept ans de malheur, une litanie qui n'en finissait plus de comptabiliser les morceaux d'un miroir brisé. Juste l'esquisse, de temps en temps, d'un sourire posé sur le malheur de l'autre, un sourire destiné à conjurer le mauvais sort, un sourire qui rassure celui qui l'offre plus qu'il n'aide celui qui le reçoit.

Ce fut tout! Ou presque. Parce que maintenant, je ris enfin, je regarde ma femme et je ris de ses certitudes brusquement mises à mal, elle rit de moi et de mes espoirs si rapidement déçus, nous rions ensemble, rions d'avoir cru que ce soir, ici, nous pourrions rire. Et finalement de devoir plaider coupable, car ce rire là reste piégé au sein de ma propre famille, sans personne d'autre à qui le faire partager!

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[lundi 15 décembre 2003]

Matin calme (12:52)

9 heures.

Je joue à l'homme moderne, cachant mon dilettantisme derrières des verres fumés, un café noir, un croissant, le journal. Je parcours ce dernier plus que je ne le lis. Je m'attache aux images, vérifiant la rumeur qui dit qu'ici, un homme n'est pas, comme à Tokyo, un simple numéro, mais qu'il est considéré. Je cherche, dans les photos de mauvaise qualité sur le papier recyclé, parmi les anonymes accédant à la gloire, quelques têtes connues afin de, mentalement, les remettre à leur place en leur collant un matricule.

9 heures 15.

Je quitte la terrasse du café, le papier recyclé, la tasse vide et les miettes sur la table. Je longe la plage où se répondent, dans un jeu de contrastes, les strings déshabillant des fesses blanches et les lourds bermudas de toiles épaisses protégeant des cuisses sombres. Et de me demander comment ces rondeurs si différemment emballées vont pouvoir se partager un destin commun.

9 heures 30.

De retour chez moi, je contemple dans la glace mes cheveux qui n'ont pas connu de ciseaux depuis huit mois et qui me font de plus en plus ressembler à un petit frimeur des îles que je n'espère pas être. Il est urgent d'harmoniser le contenant et le contenu. Miroir, mon doux miroir, dis moi que je suis le plus beau. Après tout, quelle importance!

9 heures 40.

Je m'allonge sur mon lit défait de draps jaunes afin d'y reposer mon dos. Je commence à avoir de la carne sur les genoux à force de me tenir au quotidien comme d'autres vivent la prière.

9 heures 53.

Je mange un scotch finger.

10 heures.

Tous ces courriers auxquels je dois répondre pour m'expliquer encore et encore, mettre des mots à la place d'autres mots, remplacer des points de suspension par des paragraphes, mieux me raconter, me rapprocher. Comprendre alors que ce carnet ne sert à rien. Et m'étonner aussi, de trouver encore des gens pour venir s'y échouer et rêver.

10 heures 45.

Je m'accorde une pause sur la terrasse, à regarder la mer et les immeubles environnants. J'y découvre, à travers les grandes baies ouvertes, des membres sombres qui s'agitent énergiquement dans des tissus de lumière. Le voyageur mal informé pourrait s'imaginer que les quartiers sud de Nouméa sont peuplés de mélanésiens heureux. Mais alors que les véritables propriétaires des lieux ont pour la journée déserté leur confortable demeure, travaillent ici les femmes de ménage qui ce soir, reprendront le bus.

10 heures 48.

J'ai trop chaud. 30 degrés dehors, 27.5 degrés à l'intérieur. Joyeux Noël !

11 heures.

Je mange deux scotch fingers. La radio crache la victoire sur Satan. Je ne toucherai pas la prime promise.

11 heures 10.

Une grue de peinture jaune s'invite à ma terrasse. Juste l'impression fugitive d'une toile de grande valeur, ici très imparfaitement rendue.

11 heures 13.

Sur le bambou éclaté de la massive table basse, Sydney étale ses charmes de grande métropole. Dans moins d'un mois, je ferai une infidélité à ce territoire pour me rendre chez l'ogre australien et je consulte présentement quelques pages d'un guide connu pour savoir où je vais mettre les pieds. Une fois de plus, il me faudra prendre l'avion, mourir au décollage et ressusciter lorsque le train d'atterrissage touchera de nouveau le sol dur de la piste. Je ne compte plus les vols : autant de morts pour, heureusement, autant de résurrections.

11 heure 32.

De nouveau dans la salle de bain avec mon image dans la glace. Décidément, le fait d'avoir du temps me rend terriblement narcissique.

11 heures 35.

Je m'allonge sur le canapé Kurtovitch et fixe du bleu de mes yeux le blanc du plafond. Je pense à mon avenir, maintenant que se sont achevés mes trois mois de labeur sans que je ne cherche à prolonger mon contrat. Me revient, aussi précise qu'une macrophotographie d'un livre animalier, l'image de cette petite araignée courant sur le mur de mon bureau lorsque j'en ai refermé la porte pour la dernière fois. C'est tout.

11 heures 43.

J'enfile un tee shirt blanc, des chaussures de marche, ajuste mon caleçon bleu, protège mes yeux derrière des montures argent, cherche mes clés, ouvre la porte, ferme la porte, verrouille la porte, déverrouille la porte, ouvre la porte, prend ma casquette et un scotch finger, referme la porte, verrouille la porte. Enfin dehors, je suis accueilli par une bouffée de chaleur. Joyeux Noël ! Mon fils m'attend à la garderie. Je suis déjà en retard. Une autre tranche de vie commence : fini le café noir, le croissant et le journal, fini le repos sur le lit défait de draps jaunes, fini la contemplation silencieuse sur la terrasse, fini les pages du guide australien traînant sur le bambou éclaté de la table basse, fini les scotch fingers, fini les jeux de Narcisse devant le miroir, fini la lecture du blanc plafond pour tenter d'y découvrir l'avenir. Être père, forcément, c'est autre chose.

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Dernière publication le dimanche 21 décembre 2003 à 22:38

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