Objet
d'un consensus largement répandu mais fort désagréable
pour celui qui doit en subir les conséquences,
le fait de naître "fils de prof" semble
suffire à la
caractérisation
entière et définitive de l'individu issu
de cette encombrante ascendance. Du moins était-ce
l'opinion majoritaire en ce jour du 16 avril 1970 qui
me vit frapper à la porte
du monde ainsi que dans les années qui suivirent.
Je vis donc le jour affublé congénitalement
d'une double tare puisque mon père et ma mère,
qui coulent aujourd'hui une retraite heureuse dans
ma bretagne natale, exercèrent
tous deux le métier d'enseignant. Protégé par
le statut envieux mais décrié de mes
parents, je ne connus pas la crise. Curieux, indiscipliné sans être
vraiment rebel, vif,
à la limite parfois de la précipitation,
je sus mettre
à profit les copieuses vacances familiales pour
m'ouvrir sur le monde et les voyages. Sans tomber dans
le piège du globe-trotter compulsif, encore
moins dans celui du collectionneur stérile et
blasé des
destinations
éclaires, je franchis de nombreuses fois les frontières
étroites de l'hexagone et je continue de
le faire aujourd'hui avec plaisir et passion dès
que j'en ai l'occasion. Reste que je traînai
longtemps sur les bancs de l'école
avant de prendre définitivement mon envol, plus
intéressé
par la condition d'étudiant qui, je le pensais
faussement, me permettait de conserver une sorte d'éternelle
adolescence, que par les études proprement dites.
J'étais pourtant
doté d'évidentes facilités qu'il
aurait été criminel de gâcher
et, bien que flirtant plusieurs fois avec le précépice,
je sus me tenir à l'écart d'une telle
erreur. Je rencontrai ma future femme durant mes années
de thèse à l'université
de Rennes et c'est elle qui, entre nombreuses autres
choses, m'ouvrit à la photographie en général
et au noir et blanc en particulier. Cette dernière
devint une véritable
passion et un nouveau moteur pour mon regard et pour
mes voyages. Doctorat
en poche à l'aube de mes
trente ans, déçu
par le milieu de la recherche universitaire dont
je m'étais
naïvement fait une image idylique qui s'avéra
fausse, je me lançai à corps perdu
dans l'aventure d'une jeune pousse rennaise et entamai
ainsi
un nouveau cycle
de quatre ans. Si cette expérience se révéla
très riche,
aussi bien sur le plan humain que d'un point de vue
purement technique, elle finit par m'user et par
me voler l'essentiel
de mon temps,
me tenant
trop
souvent
à l'écart
de la
photographie
et engloutissant l'essentiel de mes précieuses
vacances. C'est dans ce contexte affairiste difficile
que naquit
mon fils et j'eus au début énormément
de mal à accepter
ma paternité, ce qui ne manqua pas de provoquer
quelques
érements dont mon couple se serait volontier
passés.
Mais lorsque, usé par une entreprise que la
conjecture
économique douloureuse du marché des télécoms
rendait chroniquement malade, je décidai d'enfin
lever le pied, tout rentra tranquillement dans l'ordre.
C'est à ce
moment précis, en pleine renaissance
et sur le chemin de l'épanouissement retrouvé que
ma femme eu l'occasion d'occuper pour deux ans un
poste de maître de conférence à l'université de
Nouméa, en
Nouvelle
Calédonie. Je démissionai immédiatement,
prenant ainsi le risque de donner l'impression de
quitter un navire
en train de sombrer. J'estimai personnellement avoir
rempli ma part du contrat et nombreux furent mes
collègues
qui le comprirent ainsi, ce dont je les remercie.
C'est ainsi que débuta mon aventure sur la
grande terre et que depuis, je jette aléatoirement
dans l'eau mes petits cailloux dont je propose ici-même
de regarder les ondes se propager, sous les reflets
du
soleil, à la
surface de l'Océan Pacifique.