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Cailloux aléatoires

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Je les sème au fil de l'eau. Parfois mots, souvent images, toujours bruts.

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[vendredi 26 décembre 2003]

Le journaliste et le père-noël (15:45)

En Nouvelle Calédonie, le journaliste et le père-noël sont deux mythes qui se nourrissent l'un de l'autre dans un système symbiotique parfaitement orchestré. Alors qu'aucun des deux n'existent vraiment, ils forment pourtant un couple improbable qui contribue joyeusement à l'abrutissement des masses et véhicule à lui-seul l'image d'une société qui meurt de confondre paix et passivité.

Le premier trouve en le second une véritable aubaine pour fuir les sujets qui fâchent et gobe avidement l'occasion de noircir le papier sans se salir les mains ni déclencher les foudres des puissances en place. La traque de l'homme à la barbe blanche et au manteau rouge est un excellent alibi pour le pisse-copie qui n'hésite pas, rassuré par le consensus mou entourant le vieillard sur son drôle de traîneau, à s'adonner à une investigation poussée pour informer tout un peuple de l'unique enquête méritant effort : comment, cette année, le bon papa et sa hotte pleine pour les uns et vide pour les autres va-t-il arriver sur le caillou ? Est-ce par le ciel, la mer, la terre ? Ainsi est ici le courageux journaliste. Sur le territoire, il réapparaît tous les 25 décembre. Le reste du temps, il n'est qu'un fantôme abonné aux chiens écrasés et à l'auto-satisfaction d'un pays qui ne compte en son sein que des prodiges, le label 100% calédonien suffisant à la qualité des héros.

Le père-noël, lui, trouve en l'homme de presse éthéré un excellent outil promotionnel et une vraie caution intellectuelle : le tapage médiatique est tellement bien mené que, malgré le soleil, la plage, les strings, les cocotiers, les grandes vacances, il est impossible d'ignorer que le 25 décembre, ici plus qu'ailleurs encore, est un jour bien à part. Il ne faut surtout pas se fier aux rumeurs affirmant que la demeure du vieux pépé généreux se trouve au Pôle Nord, cerclée de glaces et recouverte de neige, loin du regard des curieux. Ce n'est qu'une ruse du saint homme pour détourner les yeux du paradis qui l'héberge, comme il accueille les touristes paumés, naïfs et plumés ou les européens ambitieux et arrogants. Cette terre magnifique bordée des plus beaux lagons du monde, perdue au milieu d'un immense océan dont elle se protège par une barrière récifale exceptionnelle, reste, sur toute la planète, l'unique bout de rocher où, journaliste têtu et coriace aidant, le père-noël existe réellement.

Pendant que, bras-dessus bras-dessous, les deux compères fantasmagoriques s'en vont faire couler dans leur gosier le précieux liquide des canettes de Number One, satisfaits du dur travail accompli, heureux l'un comme l'autre d'avoir su si bien se crédibiliser mutuellement, espérant se surpasser l'année prochaine, des mômes crèvent dans des squats insalubres à la périphérie de la ville. Ces pauvres gamins ne rencontreront jamais ni le journaliste, ni le père-noël.

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NOTE :

A ceux qui se posent la question qui agita le tout Nouméa, place des Cocotiers, le 24 décembre peu avant 19 heures, je peux apporter la réponse et briser un suspens qui, deux jours après, n'a plus de raison d'être, même pour la métropole : le père-noël jaillit de la terre à grand renfort de fumées blanches et d'éclaires jaunes et bleus, mise en scène assez proche d'une célébration d'Halloween matinée de techno qui aurait pu se dérouler dans une boite à la mode de la Baie des citrons. Cette pyrotechnie envahissante et impressionnante eu pour effet désastreux d'effrayer 80% des marmots présents sur la place tandis que les 20% qui ne s'accrochaient pas à leurs parents dans un geste désespéré purent tout à loisir se consterner à la vue d'un père-noël rachitique, haut comme trois pommes, à l'opposé de l'image habituelle du vieux monsieur rouge et blanc. Pour comble, l'idole des petits et des grands, titubant, n'aurait sans doute cessé de tomber s'il n'avait été tenu durant toute sa prestation par deux bras autres. Et de comprendre alors l'ampleur du travail journalistique nécessaire à la réparation de ce fiasco. Ce fut chose faite dans les règles de l'art et le principal quotidien de l'île consacra une dizaine de pages à l'événement! Je pus apprendre de cette enquête particulièrement fouillée que le maire de Nouméa, lors de la remise des clés de la ville au père-noël - quand je vous dis qu'ici, tout le monde y croit - portait, pour l'occasion "sa cravate spécial Noël, achetée à Sydney et imprimée d'un père-noël suspendu à une montgolfière". Sachant qu'ici, le protectionnisme est un art politique à part entière, avouer qu'un élu ait pu s'équiper d'un bout de tissus ailleurs que sur le caillou, c'est déjà presque de la subversion! Qui osera dire, après un tel coup d'éclat, que les journalistes d'ici sont des vendus?

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[jeudi 25 décembre 2003]

Le noël de grand-mère (15:30)

Noël, avec les réunions claniques qu'une telle fête impose souvent, ne se conjugue jamais complètement au présent. Il n'est que la somme des réveillons passés, la petite pierre modestement rajoutée à celle de l'année précédente afin de continuer le mur qui se construit lentement dans la mémoire collective des familles sacrifiant au rite, mur trop lisse pour qu'il soit possible, après coup, d'en distinguer les briques individuellement. Et se mélangent ainsi les cadeaux reçus à mes dix ans, les remerciements de mes vingt ans, les dons de mes treize ans. Et sur l'écran blanc des salles obscures que nous fréquentions religieusement la veille du grand jour, gens de trop peu de foi pour forcer les portes des églises dont je me contente encore aujourd'hui d'admirer l'architecture et les vitraux, les crocodiles de Bernard et Bianca coursent le nez d'un Pinocchio amoureux de la Belle au bois dormant tandis que Blanche Neige joue à Wargame pour sauver le monde des griffes de l'infâme Shere Khan dans une jungle peuplée de petites sirènes.

A chaque rendez-vous du jour rouge et blanc, je sais la phrase que va prononcer ma grand-mère autour de la table, au milieu des crevettes et des huîtres : "pff, ce noël est le dernier pour moi et je ne verrai certainement pas celui de l'année prochaine". Et ça doit faire plus de dix ans que ça dure, heureusement pour nous tous! Alors que je ne vois dans le 25 décembre que quelques morceaux de présent qui viennent se greffer à des lambeaux arbitrairement choisis d'un passé collectif de moins en moins synchrone, je m'interroge sur le sens du curieux paradoxe soulevé par ma grand-mère : à quoi peut donc bien ressembler un dernier noël, somme des derniers noëls précédents? Est ce vraiment cela que d'arrêter le temps, ne plus s'inventer d'avenir ? Est ce vraiment cela que de vieillir, vivre toute chose comme s'écrit le mot fin, encore et encore, dans une vrai supplice à la Tantale ?

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NOTE :

Cette année, pour cause de trop nombreux océans à franchir, je déroge à la règle et n'apporte pas mon caillou à l'édifice commun. Ma grand-mère, qui se porte toujours très bien, refuse quant à elle de vivre son nouveau dernier noël en compagnie de mes parents, frère, soeur, beau-frère et neveux. Mais du fin fond de sa maison de retraite, je l'entends prononcer à l'une de ces très vieilles copines : "pff, ce noël est le dernier pour moi et je ne verrai certainement pas celui de l'année prochaine." Mémé, je te souhaite de joyeuses fêtes et te dis haut et fort : "A l'année prochaine!"

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[mercredi 24 décembre 2003]

Réparation (10:25)

Corps en réparation
Journal en friches
Convalescence aux allures d'abandon
Pour cadeau, la paresse, le renoncement, la capitulation

Et d'entendre couler, deux pièces plus loin, là ou s'égare en cul-de-sac le couloir, ce bain qui m'attend, fausse promesse qui ne résoudra rien.

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NOTES :

[1] Si ce carnet était un bateau, en serais-je encore le capitaine?

[2] Ce journal à la périphérie de ma vie héberge en son centre trois acteurs principaux qui s'emboîtent à la manière de poupées gigognes. D'abord, il se nourrit de cette terre, de ses mystères, de ses contradictions, du choc violent de ses cultures, de ses plaies béantes tailladées dans les massifs pour des raisons mercantiles, de ses silences qui la font crever, de ses hommes qui la subissent tout autant qu'ils la construisent, parfois se donnant la main, parfois se crachant au visage, de son soleil qui dégueule à longueur de journées sa peinture jaune, empilant les couches, brûlant les corps, sapant les esprits, de son ciel aux allures de décor théâtral qui n'aurait que deux faces et que quelqu'un s'amuse à retourner anarchiquement de temps en temps, sans tenir compte des saisons, pour en exposer soit le bleu abrutissant, soit quelques voiles gris qui ne durent jamais... Et puis il y a ce "je" un peu décalé, tabou parfois, qui ne devrait s'écrire que dans ma rencontre avec cette terre qui m'accueille. Mais quelque chose s'est invitée en moi, d'abord sans que je ne m'en formalise et puis, lorsque j'ai compris que son envahissante installation était faite pour durer et que ses cris finissaient par couvrir ma voix, envahissant mes mots comme une tumeur maligne, se taillant à coups d'échardes plantées dans les fesses le premier rôle, il était déjà trop tard. Bientôt ici, je ne pourrai plus écrire à la première personne, il me faudra dire elle, elle pour ma douleur. Bientôt, ce journal sera son journal, d'auteur, je ne deviendrai qu'outil, le sien. Et de m'interroger sur la pertinence de prolonger ce travail : qu'est-ce qu'un voyage si l'exploration se limite à quelques bouts d'os écrasant quelques morceaux de nerfs?

[3] Si j'arrête, elle gagne. Si je continue, elle gagne encore.

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[lundi 22 décembre 2003]

Myopie (21:56)

Vingt mille kilomètres, vingt trois heures d'avion, des abandons, des démissions. Et je joue, comme un gamin myope, avec des bois de couleur sur du carrelage blanc.

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Ici et maintenant (II) (21:46)

Et je pourrais, ici et maintenant, reprendre les mots d'hier pour les centrer sur mon aujourd'hui.

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[dimanche 21 décembre 2003]

Ici et maintenant (22:36)

Il y a toujours, quelque part, un ailleurs qui empêche d'être ici. Ce sont des chiffres dans le ventre creux d'un ordinateur froid qui se collent à l'individu comme un marquage au fer rouge, c'est un noël qui là bas se prépare et dont je ne perçois que les échos de ma propre absence, c'est une main tendue par delà les mers pour gérer les affaires courantes et rappeler qu'attendent quatre solides murs de béton plantés dans un sol breton, ce sont des mots qui fusent comme des balles traçantes, brûlantes, brillantes de l'éclat supposé des intellects qui s'affrontent, illusoires devant la distance qu'elles peinent à couvrir, c'est aussi un coeur proche et lointain qui trébuche et inquiète.

Il y a toujours, aussi, quelques temps, des instants autres qui empêchent de vivre au présent. Un hier peuplé d'une histoire sans douleur, un demain, peut être, débarrassé de maux enfin morts, un aujourd'hui mensonger rempli de réécritures tardives et gavé d'inventions anticipées.

Et puis il y a ces mots, ici et maintenant, vraiment. Les seuls pourtant qui ne se rattachent à rien d'autre qu'à moi-même. J'aurais pu les écrire hier et ailleurs, demain et nulle part.

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Dernière publication le lundi 29 décembre 2003 à 23:21

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