J'avais oublié les coups de maillet sur les doigts trop tendres, les
piquets dissimulés dans l'herbe qui s'accrochent aux orteils et les
chardons sous la plante des pieds.
J'avais oublié, le soir venu, la sphère de lumière qui attire les
papillons avant de les consumer dans un baiser létal.
J'avais oublié la ronde infernale des moustiques qui poussent les
rapports charnels jusqu'à sucer le sang.
J'avais oublié la vaisselle en maillot de bain et les défilés incessants,
petit rouleau de papier toilette au bout des doigts.
J'avais oublié la chaleur sous la maison de tissu, le sol dur, les
racines qui déchirent l'échine et la rosée du matin en guise de
récompense.
J'avais oublié l'odeur des bois qui brûlent, le nuage de fumée au dessus
du terrain, les hommes à la pétanque et les femmes aux fourneaux.
J'avais oublié les discussions autour des sanitaires, les queues
impatientes devant les douches trop peu nombreuses et le petit
resquilleur qui tente naïvement d'être propre le premier.
J'avais oublié l'opinel tranchant le pain et étalant le pâté Hénaff.
Le cochon rose dans sa drôle de boite bleue s'exporte jusqu'ici et
échappe par miracle à l'anathème qui frappe le Nutella.
J'avais oublié le vent qui éteint les allumettes, la crainte de la pluie
et les aliments qui flottent dans la glacière après
la victoire du soleil.
J'avais oublié les professionnels du genre, docteurs es-système D qui
utilisent la topologie des lieux avec génie, détournent la nature et
s'accaparent les arbres.
J'avais oublié le débutant laborieux qui aborde l'aventure en lisant le
manuel de son équipement encore emballé et qui, une heure après, se
retrouve emmêlé dans la toile et les cordes sous les regards amusés des
enfants et courroucé de la dame.
J'avais oublié que le ridicule ne tue pas. Sinon, j'aurais planté ma
tente sur un vaste charnier, peut être même en serais-je mort.
J'avais surtout oublié que c'est une activité à plein temps, exclusive,
épuisante, qui assoiffe tout autant qu'elle affame.
Alors à qui me demande ce que j'ai bien pu faire de mes trois
derniers jours, je réponds simplement : j'ai campé.