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Cailloux aléatoires

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Je les sème au fil de l'eau. Parfois mots, souvent images, toujours bruts.

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[samedi 20 septembre 2003]

Yaté ou l'expérience du réel (I) (20:39)

Je ressens tout à coup le besoin de briser l'étroite mais réelle paroi de la bulle qui me sépare de l'autre, ce tabou, celui de ce journal, vivant dans les mots et mourant à chaque fin de phrases tandis que je n'existe, invisible, que dans les silences d'entre deux lignes. C'est donc avec une certaine jubilation que je porte un vil coup de poignard au coeur de ce texte, me vengeant des quatre mois d'existence éthérée du personnage central de ces chroniques, le plongeant tout à coup dans les affres de la réalité quotidienne pour le confronter aux dures contingences de la vie humaine. Et quoi de plus tristement matériel pour encrer ce récit dans un univers pragmatique à l'opposée de la vision déformée des vertes claquettes que de s'attacher méticuleusement aux heures qui défilent, aux kilomètres de bitume dévoré, à la température de l'air - la discussion météorologique étant le sujet privilégié des gens qui n'ont rien à dire -, à l'altitude par rapport au niveau de la mer, aux nombreux lieux traversés voire occupés le temps d'un repas, d'une photo, d'un besoin naturel...

Le récit qui suit (et qui se prolongera probablement demain au vu de l'ampleur de la tâche et l'heure tardive à laquelle je m'y attelle) est une retranscription presque mot à mot des notes vocales prises durant une escapade de quelques heures dans le sud avec ma femme et mon fils. Sa lecture n'offre que peu d'intérêt. Sa seule justification est de lever le filtre que j'ai systématiquement, jusqu'ici, appliqué à mes pensées et mes regards. Expérience rébarbative du réel, carnet de route brut d'une journée ensoleillée nous menant de Nouméa jusqu'à Yaté :

8h08, la petite famille embarque dans le trop étroit coupé bleu. Direction Yaté . Nous prenons la rue Gabriel Laroque jusqu'à la promenade Vernier. Le long tour du Ouen-Toro est ainsi évité. La voiture longe la promenade. Guère de vent pour une journée qui s'annonce excitante. Le passage Baie de Sainte Marie nous fait côtoyer une mer d'huile. C'est ma femme qui est au volant pendant que je prend des notes. Nous rentrons dans le quartier Magenta, avec à notre droite, Ouemo. Un coup de volant à gauche nous met dans la bonne direction. Nous pouvons admirer en face la presqu'île de Tina sur laquelle se détache le superbe centre Jean-Marie Tjibaou dû à l'architecte italien Renzo Piano. Passage devant l'université de Nouvelle Calédonie avant de longer l'aérodrome de Magenta. Le coupé continue sa promenade et franchit le rond point du quatrième kilomètre.

8h19, je recommande à ma femme de ne pas prendre la brève autoroute pour le Mont Dore. Je préfère l'ancienne route, par le Pont des Français. Il est 8h22 lorsque la petite famille sort de Nouméa. Il fait 24 degrés. Après un brève passage sur la RT1 qui monte vers la Tontouta, nous prenons la sortie qui conduit au circuit des routes du grand sud.

J'aperçois les tours de Saint-Quentin, paysage surréaliste d'une ZUP effroyable derrière laquelle se détache un superbe massif montagneux. Il pourrait s'agir d'une expérience intéressante de land art, si ce n'est que dans cet oeuvre contemporaine vieillissante, vivent, souffrent et meurent des hommes et des femmes. Le modeste équipage arrive Pont des Français, commune du Mont Dore, avec, pour nous accueillir, son cinéma en plein air (driving) qui, chaque dimanche matin, accueille une braderie très courue des nouméens. Les personnes qui se lèvent très tôt peuvent y faire, parait-il, des affaires intéressantes. A cette heure-ci, 8h27, il est déjà bien trop tard. Plus loin, par une voie s'ouvrant à la gauche de notre route, il est possible de se rendre à la tribu de la Conception. Sans nous arrêter, la voiture passe par Robinson, puis le long de la baie de Boulari. Je repère le premier panneau annonçant Yaté. Nous sommes maintenant à Saint-Michel. J'aperçois à ma droite la sinistre Tina sur mer et son allure pitoyable de ville blanche assiégée. Heureusement, sur notre passage, le décors est agréablement composé de villas largement espacées, au coeur de magnifiques palmeraies. L'ambiance n'a plus rien à voir avec la capitale bétonnée chaque jour d'avantage et je m'en réjouis. La voiture rentre dans la commune de Saint-Louis, tristement célèbre pour le conflit violent qui oppose les Wallisiens de l'Ave Maria à la tribu Kanak revendiquant les terres. Des blindés de la gendarmerie condamnent la route menant au village. J'ai entendu expliqué aux informations par monsieur le chef du gouvernement de Calédonie qu'il ne s'agit nullement d'un conflit entre communautés, juste d'une querelle de voisinage ! Je lui donne partiellement raison sur le premier point : ce n'est pas fondamentalement un problème ethnique. Il s'agit avant tout d'un problème politique, les kanaks n'ayant jamais pardonné aux Wallisiens d'avoir fait, à une certaine époque, basculer le rapport électoral en faveur du rassemblement et de continuer, aujourd'hui, à faire le jeu des européens du sud. Alors parler d'une simple querelle de voisinage m'apparaît tenir de propos légers et discutables, pour n'employer ici que des euphémisme. Nous laissons Saint Louis derrière nous.

Kilomètre 25. Le coupé bleu métallique entre dans la Coulée. La terre commence faiblement à rouiller, prémisse du spectacle qui nous attend. Nous longeons la rivière et passons devant le petit centre commercial Casino. Nous prenons la route de Plum annoncé à 9 kilomètres. Le paysage typique de grand sud commence à montrer son visage : une végétation rase dans une terre brune, tandis qu'éclatent les fantômes calcinés des Niaoulis. Kilomètre 30 depuis notre départ de l'appartement. La route commence à grimper. Nous parvenons rapidement au sommet du col de Plum, à l'altitude de 110 mètres. La source qui s'y trouve est comme d'habitude encombrée par les gens venues remplir leurs jerricanes. Nous passons devant le début du sentier pédestre permettant de rejoindre le haut du Mont Dore, culminant à 772 mètres. Une autre fois pour moi peut être, mais sans la tête blonde! La petite famille et le véhicule rentrent dans Plum. Il faut doubler les éternels cyclistes du dimanche matin.

8h45, petite escale technique : il semble que l'équipage se soit trompé de route. Il aurait fallu prendre la direction du Parc de la rivière bleue, AVANT l'ascension du col de Plum. Nous faisons donc demi-tour. Contre-temps sans incidence, preque plaisant puisque le décor est superbe. De nouveau les cyclistes, moins dans le passage cette fois ci, le col de Plum et sa source. Enfin, l'embranchement vers le Parc de la rivière bleue, à l'entrée de la Coulée (donc, dans le sens qui aurait dû être le notre, à sa sortie). Le parc, de flatteuse réputation, est malheureusement fermé depuis le passage du cyclone Erica et sa réouverture au public n'interviendra pas avant janvier 2004. Les piles de mon dictaphone rendent l'âme. Il me faut les changer. Il est 8h52, il fait 24 degrés et nous avons parcouru quarante et un kilomètres.

"Yaté : 52 kilomètres. Prochain village : Yaté. Bonne route". Tel est le panneau que nous croisons alors que nous venons de réintégrer l'itinéraire correcte. La route, sans être un modèle du genre, est bitumée et roulante, mais étroite. Les habitations se font de moins en moins nombreuses. Rares sont celles qui semblent construites en dur. Elles s'apparentent plus à des baraquements de taule. Nous arrivons à Mouirange. Je m'attends à un hameau, mais il semble que la pancarte soit le seul signe d'une trace humaine dans les parages. La route ne fait que côtoyer, chevaucher, s'amuser avec des petites rivières. Il nous faudrait plus de temps pour vraiment en profiter. Mais notre tête blonde à l'arrière de l'auto ne semble guère de cet avis : la voiture commence à le fatiguer et ses manifestations se font de plus en plus violentes et bruyantes. La terre quitte son manteau rouille pour en revêtir un nouveau, vraiment rouge celui-ci. Nous serpentons désormais dans un paysage de montagne, précédé par une camionnette Hyundai dont le rythme de tortue ne nous dérange pas puisque nous sommes en ballade, mais dont la fumée envahissante sortant du pot d'échappement finit par devenir lassante. Nous arrivons au sommet du col des deux tétons. Il me faudra me renseigner sur la signification de cette appellation, parce que de tétons, même stylisés, je n'en vois points. La vue est magnifique et s'étend jusqu'à la mer, à ma droite. Nous reconnaissons la baie de Prony ainsi que le col du même nom, ue nous avons franchis la semaine dernière et sur lequel est installé la plus grande ferme d'éoliennes française.
Je reste encore une fois saisi par la magie du grand sud : carcasses de Niaoulis blanchies par le soleil, se tordant dans des postures tragiques mais sublimes, squelettes se détachant d'une mer rouge ou bleu selon qu'elle soit de sable ou d'eau. Je sais qu'il me faudra les affronter de mon appareil photographique. Mais je ne sais pas encore comment les approcher pour éviter la platitude d'un paysage, qui, une fois tirée, serait impuissant à susciter de nouveau le sentiment qui présida au déclenchement. Dans l'attente d'une réflexion plus avancée ou mieux, d'une véritable intuition, je me contente de regarder. Sans le problème du facteur d'échelle, je pourrais aisément m'imaginer dans quelques contrées de l'ouest sauvage des Etats-Unis. La végétation éparse et rase, les cicatrices béantes dans le sol, tout laisse à penser que cette région a douloureusement souffert de l'avidité des hommes venues se repaître de ses richesses.
Nous redescendons le col des deux tétons. Le petit Hyundai polluant semble s'être vu pousser des ailes et prend un peu de distance avec le coupé conduit par ma femme qui, ne connaissant pas la route, se montre d'une sage prudence...

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[jeudi 18 septembre 2003]

Le chantier (22:14)

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[mercredi 17 septembre 2003]

Le sténopé (21:24)

Changer d'outil, changer de support, changer de format, changer de rythme. Et par incidence, changer de regard. Presque changer de vie. Oublier les couleurs hurlantes m'agressant au quotidien, brouillant ainsi le regard comme par vengeance après plusieurs années de mépris, pour revenir à l'univers rassurant d'un vieux noir et blanc chaleureux et complice. Casser le bleu du ciel et de la mer, le vert de la chlorophylle, le rouge des minerais, le jaune du sable et du soleil. Regarder derrière l'étoffe aguichante qui étouffe ce pays et l'empêche de n'être que ce qu'il est lorsqu'il se déshabille, à savoir différent, plus intime.

Plage de Prony

Depuis quelques semaines déjà, j'observe le territoire par un trou bien plus étroit que le chas d'une aiguille : les baies de Nouméa ou du grand sud, la végétation riche et variée dont les tentacules étranglent le sol et lézardent la pierre, la roche ultra basique sans cesse attaquée par l'érosion et saignée pour ses richesses par la main de l'homme, le jeu du vent dans les branches et l'écume du Pacifique. Une négation de l'instant décisif cher à Cartier Bresson puisque je m'attache à des moments s'étirant en de longues secondes qui peuvent devenir des minutes. Une photographie plus sensitive qu'intellectuelle, prolongement lent, presque interminable, de ce qui n'est à l'origine qu'un bref éclair instinctif : un souffle, un silence, un vide, un reflet, une perspective, une matière, une atmosphère, une solitude, un échos. Rien de tangible. Aucune certitude. Juste les sens en éveil, rarement la vue, jamais la raison. Une démarche à l'opposée de la réalisation boulimique et compulsive des images que je m'imposais jusqu'ici, les quelques vues de ce journal ne formant qu'un extrait insignifiant de la masse des photographies encombrant mes archives.

Contrastant avec l'immatérialité du sujet choisi, la préparation de l'acte en lui-même suit un rituel précis, presque maniaque : sortir le pied, trouver l'endroit exact, la distance, la hauteur, l'inclinaison, prendre la mesure de lumière, visser le déclencheur, se méfier des ombres. Escalader les arbres pour y poser le sténopé - car c'est bien de cet illustre ancêtre qu'il s'agit ici - à même les branches, écarter les bras en V pour tenter d'embrasser l'angle des 120 degrés couvert par le minuscule trou, se plaquer contre un mur dans une position acrobatique pour ne pas paraître dans le large champs. Il faut ensuite patiemment attendre de retrouver le sentiment exact ayant présidé à la minutieuse installation. Quant vient le temps de presser, dans un souffle retenu, le déclencheur souple, commence aussi celui du métronome mentale sonnant les quelques secondes de pose, instants fragiles durant lesquels la lumière, enfin libérée, peut laisser son empreinte dans la délicate gélatine : un, deux, trois, quatre, cinq ...

Plage de Yate

La minutie des préparatifs est à l'opposée de la nature du résultat: imprévisible et fantasque. Entrent en jeu dans l'équation compliquée de la formation de l'image des paramètres aussi différents que nombreux, comme l'imprécision du cadrage effectué sans aucune visée, le caprice d'un coup de vent, les aberrations lumineuses autour du trou de lumière, le soleil s'effaçant derrière un nuage, l'averse brève mais violente qui se synchronise parfaitement avec la période durant laquelle s'ouvre l'obturateur, le pied mal équilibré qui se casse la gueule pendant la pose, le déclencheur qui se bloque et brûle le négatif, la pellicule qu'une main fébrile oublie de faire avancer et qui mène tout droit à une superposition parfois heureuse mais plus généralement ruineuse, la famille bidochon intéressé par le manège de ce photographe d'une autre époque mais qui refuse comprendre qu'elle est dans le champs et qu'elle détruit l'ambiance, une vague dont a été anticipé, au début de sa course, le bris sur le rocher et dont la perte prématurée demeure un mystère inexpliqué...

Qu'importe les aléas, parfois s'opère la magie : rencontre improbable entre une sensation fugitive, un acte technique long et précis, une facétie de dame nature. Coïncidence chaque jour provoquée et si souvent refusée, j'attends toujours, dans les odeurs d'hydroquinone et de fixateur, cette image miraculeuse. Alors seulement aurai-je appris un peu plus de ce caillou qui m'accueille. Alors seulement serai-je vraiment libre de rentrer chez moi.

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[mardi 16 septembre 2003]

Regarder vers l'est (13:17)

L'anonymat du quotidien, dans de brèves rencontres fortuites, est parfois l'occasion d'échanges surprenants dont il est difficile, dans l'instant, de mesurer la véritable profondeur philosophique.

Je suis brutalement abordé dans l'ascenseur par un homme qui, sans même se présenter ou s'embarrasser d'un préambule qui m'aurait calmement ouvert les portes de la conversation, entame à mon intention un prodigieux monologue sur la planète Mars. Quatre étages plus haut, perplexe, je l'abandonne sans qu'il m'eut été possible de lui adresser la moindre parole. Avant que les portes de l'ascenseur ne se referme et que le bruit des câbles et des poulies ne dilue son verbiage, je l'entends crier, en guise d'adieu, un conseil m'incitant à lever les yeux vers le ciel et à regarder plein est. Ce que je m'empresse d'oublier dans les babillages de mon fils venu m'accueillir sur le palier...

Je suis dans mon bureau sombre en ce début d'une journée qui s'annonce chaude. Je regarde s'approcher un des mes collègues, quoique l'absence de véritable relation entre nous rende ce terme quelque peu usurpé. Il est âgé, à quelques encablures d'une retraite dont il fait le sujet principal de ses conversations et le seul grade que je lui connaisse est celui de responsable en chef de la machine à café du laboratoire. Il tient précautionneusement à la main un petit tirage photographique aux couleurs négligées qu'il s'apprête à me présenter ainsi qu'à me commenter. Sur le rectangle de plastique, en plein centre, dans une verdure mal restituée, un cervidé agenouillé fait la fierté de mon interlocuteur imposé. Je remarque que la tête de la bête est maintenue dans une posture voulue fière par un morceau de bois faisant office de béquille. L'animal est mort. Son assassin me parle. J'apprends, un peu dégoûté par la macabre mise en scène, qu'ils étaient neuf, en bas de chez lui, à portée de fusil. Il a choisi le plus majestueux. Monsieur est amateur de beaux trophées et tire son penchant d'une illustre ascendance: son père fut longtemps détenteur du record du monde de la discipline, avant que celui-ci ne tombe récemment pour quelques cinquante malheureux millimètres. Et de me faire expliquer de long en large qu'il existe un complexe barème tenant compte du diamètre des bois du cerf, de leur longueur, de leur ramification, qui permet une classification hiérarchique rigoureuse et indiscutable des victimes innocentes. Je ne suis pas chasseur et ne le serai jamais. Le caldoche n'a pas mes états d'âme. Je ne me permettrai pas ici de remettre en cause une culture qui m'est étrangère et qui fait du "coup de chasse" une activité noble à laquelle être convié est un privilège qui doit se mériter. Mais qu'il soit sciemment choisi d'abattre un animal, de sa fenêtre, donc sans le plaisir supposé d'une activité sportive en pleine nature, dans le seul espoir de se réapproprier un record, réhabilitant ainsi l'honneur familiale bafoué, est une attitude dont le coté révoltant n'a d'égal que la dureté du mur d'incompréhension contre lequel je m'écrase. En pleine chronique martienne me reviennent alors les sages paroles de mon extraterrestre de la semaine dernière et j'en comprends brutalement la profondeur cachée : lever les yeux vers le ciel et regarder plein est...

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[lundi 15 septembre 2003]

Pavillons rouges (21:39)

Quiconque emprunte la rue Gabriel Laroque pour se rendre de l'anse Vata à la promenade Vernier sans s'obliger à faire tout le tour du Ouen-Toro ne peut manquer cette sinistre jungle de toits rouges...

Je tente juste l'épure, pour me faire moins mal.

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Dernière publication le samedi 06 décembre 2003 à 13:44

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