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Cailloux aléatoires

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Je les sème au fil de l'eau. Parfois mots, souvent images, toujours bruts.

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[samedi 06 septembre 2003]

La piscine (22:34)

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[vendredi 05 septembre 2003]

L'autre, ce tabou (21:42)

Écrire ce journal, c'est sans cesse me censurer pour faire vivre un autre presque semblable, sorte de double éthéré, ombre fidèle mais légèrement décalée, protéiforme dans sa réponse au soleil. Ce "je" qui me touche sans pourtant fusionner ne mange pas, ne boit pas, ne baise pas, ne pisse pas, ne tombe pas malade, ne se dispute pas, ne se baigne pas, ne bronze pas sur la plage. Lorsqu'il s'offusque, c'est toujours pour une noble cause. Lorsqu'il s'endort, ce n'est jamais d'un sommeil de plomb mais toujours pour vivre une nuit mouvementée zébrée de rêves et de doutes, entrecoupée de réveils brutaux ouvrant sur des fragments d'une mémoire lointaine. Lorsqu'il marche, ce n'est jamais pour se rendre d'un lieu à un autre mais pour mieux réfléchir, pour mieux se construire. Lorsqu'il presse le déclencheur de son appareil photographique, ce n'est jamais pour l'image de ce qu'il voit mais pour celle qu'il imagine. Cet autre là n'est pas humain de chair et de sang : il pense et regarde. Il n'agit pas. Constat d'impuissance. Il aimerait connaître cette vague d'idées noires qui font exploser les grands artistes lorsqu'ils récoltent le sang d'encre coulant de leurs veines envenimées. Mais il se laisse attendrir par les éclaboussures du soleil, le regard de l'enfants, la patience et la disponibilité de la femme. Il devine les ombres plus qu'il ne les traque. Ne pas trop salir ! Laisser simplement le parfum de ce pays cacher les odeurs désagréables effleurant la terre souillée du caillou!
Ce "je" qui s'écrit au quotidien, parfois mensonger ou simple reflet déformé, conjuguant passé et futur au présent, est connu de mes proches mais n'est pas reconnu. Ils ne lui cherchent que les moments éludés, s'adressant à moi en oubliant l'autre. Ignoré, il n'existe pas, ou seulement dans quelques brèves allusions pragmatiques destinées à l'ancrer dans une réalité quotidienne qu'il ignore. Il devient tabou. Il est né ici, en Nouvelle Calédonie, loin d'eux, moi-lui accueillant mais fuit. Et je le ramènerai là bas, en métropole, lui-moi qu'il faudra bien accepter.

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[jeudi 04 septembre 2003]

La robe (22:03)

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[mercredi 03 septembre 2003]

Parasite (22:06)

Le plus oppressant dans le travail n'est pas l'acte lui-même, qui peut normalement trouver une autre justification que le stricte besoin alimentaire, mais la chape empoisonnante des contraintes horaires qui l'accompagne inexorablement. Aujourd'hui, je me lève le matin en sachant à l'avance le lieu où me mèneront mes pas et je m'endors sur une perspective du lendemain semblable à celle de la veille. Je traverse à instants fixes des rues dans lesquelles il n'y a pas longtemps encore, je prenais le temps de flâner, de m'arrêter, de regarder, de rebrousser chemin, de courber les droites et de refermer les cercles, m'inventant des trajectoires calquées sur mes pensées, zigzaguant tel un homme saoul. Ivre, je l'étais bel et bien. Ivre de liberté. Aujourd'hui, je suis dans un bureau qui s'apparente à une petite France, enclave parisienne de la métropole pourtant lointaine mais partout présente. Ici, dans cette atmosphère sombre où même la lumière est réglementée par des vitres fumées ou des rideaux à mailles serrées, j'oublie le soleil du caillou. Ici, respirant l'air artificiellement rafraîchie par une climatisation bruyante qui ne s'arrête jamais, crachant un vent rigoureusement calibré, j'oublie la chaleur enveloppante du territoire et les alizés indomptables. Ici, je ne suis plus en Nouvelle Calédonie. Je retrouve le gazouillement des machines, les claviers frénétiques, les écrans géométriques, les cafés de distributeur, le badge d'accès, les néons sales suintant une lueur cafardeuse . Ici, je ne suis plus en Nouvelle Calédonie. Et toujours la question angoissante : à quoi je sers? Et toujours cette interrogation en guise de réponse : et si je n'étais, malgré moi, qu'un parasite?

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Perspective (22:04)

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[mardi 02 septembre 2003]

Parlé blanc (20:27)

Il s'appelle Daniel. Il est kanak. Il est assis devant moi, un verre de pastis à la main, derrière une table de ma terrasse. Sur sa peau, la sueur de l'effort accompli. Dans ses yeux, la satisfaction du travail achevé. Les cannisses qu'il vient de poser tout au long de la rampe extérieure de mon appartement, trop dangereuse pour mon fils turbulent lorsqu'elle était encore nue, donne un petit air exotique à mon quotidien fortement européanisé. Daniel parle et je l'écoute. Il raconte son pays, sa terre, les hommes, les femmes, la ville de Nouméa, son cyclone, sa politique hésitante et conflictuelle, les magouilles, les immeubles, le conflit opposant son peuple aux gens de Wallis et de Futuna... Il parle et je l'écoute. De tout, de rien, de tout sauf de lui. Ici, dans ses mots, il n'existe pas. Une pudeur, un silence. Je sais pourtant par sa fille de cinq ans, amené avec lui pour qu'elle s'amuse en compagnie de mon môme, qu'en ce moment, sa mère est absence. Elle fait des bougnas, mais elle est absence. Elle est absence et fait des bougnas. De la tristesse dans le regard de l'enfant. Et le silence dans la bouche du père. Daniel s'en va, sans en dire plus, comme s'il avait déjà trop parlé.
J'obtiens plus tard d'autres explications: Daniel est la victime symptomatique d'un choc de deux cultures. Sa femme a assimilé trop vite la notion de famille nucléique. Dans cet esprit façonné par la vision européenne, le devoir de l'homme est de subvenir en premier, et pratiquement exclusivement, au besoin de l'épouse et de ses enfants. Pour Daniel au contraire, pour les siens, mère, père, oncles, tantes, frères, soeurs, cousins, cousines, grand-père, grand-mère, le cercle des proches est infiniment plus vaste. Unique à travailler dans cet univers à qui il se doit d'être solidaire, il dilapide aux yeux de sa femme son maigre salaire, au détriment même de ses enfants. Fidèle à sa culture, ou prisonnier d'elle, il tente de faire preuve d'une responsabilité qu'il n'a pas les moyens matériels d'assumer sans sacrifices. Et de ces sacrifices là, son épouse n'en veut plus, n'en peut plus. Elle demande le divorce, et aux yeux de sa fille de cinq ans se raccrochant aux bougnas de maman, devient absence. Daniel veut s'en sortir. Lorsque dans une tentative de résistance face à sa mère et ses frères il osera refuser son aide financière, la sanction sera immédiate : "Tu parles comme un blanc".

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[lundi 01 septembre 2003]

Le temps qui fut (18:55)

Je commence ma première journée de travail aujourd'hui, clôturant ainsi le chapitre introductif de mon expérience calédonienne. Ce fut le temps de la découverte, à moi qui m'étais interdit de consulter le moindre guide pour arriver vierge de toute idée préconçue, de l'installation, plus longue que prévue mais finalement réussie, de l'apprentissage de la couleur, de la découverte d'un fils à qui j'avais donné trop peu de ma vie en métropole, du soleil que même l'hiver présenté pourtant cette année par les gens du caillou comme rigoureux, ne parvient à effacer qu'en de rares occasions, des cailloux jetés dans l'eau pour me venger du temps qui fuit, des ballons oranges, des vertes claquettes, du cheval réinventé après qu'il m'eut semblé inaccessible durant de trop longues années, des australiens du Pacific-Sky altérant subtilement l'atmosphère de Nouméa, de la peinture photographique dont je clos définitivement la galerie pour ne pas tomber dans le procédé. Ce fut le temps de la liberté, des coups de tête et de l'improvisation, des couches sales et des cris qui exigent, de l'horloge emprisonnée de chez Zam-Zam, du sommeil brutal qui assomme à la nuit à peine tombée, des réveils matinaux où tout semble possible, de l'écriture comme annexe d'un projet qui se révèle finalement devenir projet lui-même, des courses sans fins pour accrocher la petite tête blonde sous casquette grise, des longues escapades pédestres à sillonner la ville et les bords de mer, reconnaissant les vrais marcheurs aux regards enténébrés qu'ils me lançaient lorsque je les doublais, poussette au poing et chaussé comme un sauvage.

Ce fut aussi le temps des premières rencontres, malheureusement cantonnées au cercle professionnel de ma femme et qui, pour chaleureuses et solidaires qu'elles furent, laissent encore un goût de trop peu et de non-mixité sociale ou ethnique dérangeante. Il y eut, se prolongeant toujours aujourd'hui, l'expérience de la séparation, celle de la terre natale chaque jour admirée et jamais reniée, celle de la famille, celle des amis qui pensent à moi mais sont trop loins pour vraiment saisir ce que je deviens et qui ne me reconnaissent pas toujours dans ce journal. Et puis déjà commence à jaunir l'image photographique de l'environnement quotidien qui était le mien et que j'ai figé mentalement avant le grand départ, espérant naïvement la retrouver intacte à mon retour: des visages s'effacent, des couples se séparent, chaque fissure naissante s'apparentant à un viol douloureux de la mémoire.

Ce fut le temps des premières lectures boulimiques, de cette soif de comprendre un territoire dont l'étroitesse et la faible population ne doivent pas masquer l'extrême complexité et fragilité de la situation politique, de la rencontre avec l'histoire et de ses invraisemblables occasions manquées, les abonnements aux temples incontournables que sont la bibliothèque Bernheim et le centre culturel Tjibaou, les premières conférences, la consternation devant une presse anémique qui en oublie son devoir d'investigation et qui n'est souvent que le relais à peine voilé des uns ou des autres, surtout des uns d'ailleurs, l'écrasant constat du déséquilibre entre le Nord et le Sud et la sensation oppressante d'un effrayant pouvoir monarchique nouméen, la capitale se prenant parfois pour une sorte de rocher monégasque du Pacifique, avec son cortège d'exclus, majoritairement kanak mais pas seulement, son fric dont on ne regarde pas trop la couleur pourvu qu'il rentre, ses promoteurs avides et frénétiques qui bétonnent à tour de grues au mépris de l'environnement. Le "non dit" caractéristique de ce pays apparaît alors bien souvent comme un alibi culturel pratique destiné à cacher la poussière sous un tapis ensoleillé jusqu'à ce qu'un trop-plein provoque un éternuement allergique suivi d'une toux caverneuse crachant de la salive sanguine. Mais comment taire les squats et les vies douloureuses qui s'y terrent, comment ignorer cette violence d'un premier peuple envers un troisième, attisée par un second pour de vils motifs électorales, comment ne pas s'effarer du long refus de l'état à vraiment former une élite kanak...
Aujourd'hui, je commence le travail. Et ce temps qui fut est aussi un temps en devenir, tout comme l'est celui de ce territoire attachant, contrasté, douloureux, mais riche de promesses.

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Dernière publication le samedi 06 décembre 2003 à 13:44

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