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Cailloux aléatoires

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Je les sème au fil de l'eau. Parfois mots, souvent images, toujours bruts.

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[samedi 16 août 2003]

Bourail, la foire : 26ième (14:10)

Une main tendue tombée du ciel s'approche de moi et je distingue en arrière-plan la silhouette floue de sa propriétaire. Brièvement, je m'imagine qu'il y a dans cet instant matière à une bonne image mais le sommeil reprend ses droits et je me laisse lentement couler vers des fonds d'encre noire. La main insiste, s'accroche obstinément et me fait basculer définitivement du rêve à la réalité. J'ouvre les yeux sur le corps penché de ma femme qui tente énergiquement de me tirer hors du lit. Il est cinq heures du matin. Je suis encore englué dans mon sommeil, poisseux de ma nuit trop courte, et je me maudis déjà de ne pas m'être couché plus tôt la veille.
Les grandes aiguilles de toutes les horloges du monde ont le temps de faire une fois et demi le tour de leur cadran avant que je ne me retrouve au volant du petit coupé bleu métal qui me sert de moyen de transport et dont je fais prendre au quatre roues la direction de Bourail. S'y tient en ce long week-end du quinze août la vingt-sixième édition de la grande foire agricole. Je ne sais très bien ce que je vais y trouver. Elle est décrite comme la fête emblématique d'une caldochie rurale que les nouméens, fières de leur mode de vie moderne et citadin, ont tendance à hâtivement railler alors qu'elle perpétue pourtant un esprit ayant longtemps été la référence du néo-calédonien d'origine européenne. Empruntant la RT1, route du Nord, et traversant rapidement La Tantouta, Tomo, Bouloupari, La Foa et Moindou, toute ma petite famille arrive sans encombre sur le site de l'événement qui se tient autour de l'hippodrome de Bourail. A la configuration des lieux, je devine déjà le piège qui se referme sur nous et j'appréhende la sortie de la foire, prévue en tout début de soirée afin de ne pas rejoindre Nouméa trop tardivement, présence de mon bout-d'homme oblige.

Une foule dense mais encore supportable est présente sur les lieux et nous commençons notre exploration, guidés par les pas turbulents de notre fils qui semble prendre les choses en main et nous laisse peu d'initiative : ici un tracteur, là une tondeuse, plus loin des poneys, des chevaux, des cavaliers, des vaches, des boeufs, des manèges, de la musique, des "quatre-quatre" en démonstration de trial, des véhicules de stock-car aux moteurs pétaradants, des majorettes avec baguettes et paillettes, de jeunes danseuses mélanésiennes, des stands de produits agricoles, du bruit et du mouvement... Mais d'ambiance, point vraiment. Je la cherche, la renifle, l'approche un peu avant qu'elle ne m'échappe. Je comprends ce qui me perturbe : les gens sont là, regardent, flânent, écoutent, goûtent, mais ils leur manquent la joie, ce petit grain de folie qui devrait normalement accompagner l'événement. La communauté caldoche ne semble pas être apte à afficher ses émotions en public. Elle préfère vivre ses festins et ses rires à l'abri du regard, entre amis, en famille. Du coup, même les tenues excentriques des cow-boys et autres stock men ne semblent suffire à égayer l'ensemble. Je me sens hors du coup, spectateur impuissant. Le symbole de cette incapacité à appréhender le spectacle se déroulant sous mes yeux s'exprime dans un refus contraint à ne pas le mettre en images. Le Leica pendouille inutilement dans son sac de tissus noir. Il n'est pas chargé et je sais d'avance qu'il me sera inutile d'y mettre une pellicule. Ma femme en est au même point que moi et gémit du poids de son propre matériel à l'épaule. Elle ne l'utilisera pas non plus. Mon oeil n'investissant pas correctement l'univers de la foire, je décide de laisser faire le hasard, même si la chance ne remplace jamais le talent, et sors un appareil de plastique multicolore que j'ai déniché à l'institut de lomographie, pressant le bouton de temps en temps, sans même cadrer. J'ai fière allure dans mon pantalon africain et mon gilet multi-poches, ce machin ridicule entre les mains. Assurément plane sur l'événement l'esprit d'un très grand reporter !

Heureusement il reste les chevaux, toujours superbes malgré le mauvais goût affiché par certains de leurs cavaliers. Cet animal me hante depuis ma plus tendre enfance quoique je ne fus jamais autorisé dans ma jeunesse à en monter un seul. Même si l'équitation se montre une activité onéreuse, l'argent n'était sans doute pas, à l'époque, la véritable raison de ce refus, les sacrifices que consentirent mes parents en d'autres occasions sont là pour en témoigner. Le seul obstacle qui se dressa vraiment entre moi et la bête fut l'angoisse maladive qu'éprouvait ma mère à l'idée d'exposer sa précieuse progéniture à un quelconque risque, même contrôlé. Et le jeune bambin gentiment turbulent et étourdi que j'étais cadrait mal avec l'image qu'elle devait se faire d'un cavalier. La musique, que je ne regrette pas, était une activité plus sage et moins dangereuse. Le temps a passé, j'ai enfoui une partie de mes rêves de gosse, en est découvert de nouveaux et j'ai pris mes distances avec l'équidé qui continue malgré tout aujourd'hui de me fasciner. Peut être serait-il temps que je prenne, sur le caillou, ma revanche et la foire de Bourail, malgré ma déception présente, en sera peut être le catalyseur inattendu.

Point d'orgue de l'évènement, le rodéo, auquel nous assistons sous un soleil de plomb en compagnie de l'enfant usé par une journée sans sommeil, signe toujours, ce n'est qu'une question de secondes, la victoire de l'animal sur l'homme, confortant ainsi mon admiration pour ces bêtes qui, l'espace d'une ruade, s'accrochent à leur liberté. Dommage qu'elles n'aient l'occasion de le faire que dans une arène et pour le seul plaisir de ceux qu'elles désarçonnent. Sans avoir la cruauté de la tauromachie, le rodéo reste une pratique dont je ne partage pas l'enthousiasme local.

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[vendredi 15 août 2003]

Mots d'enfant (10:11)

Il sort parfois de la bouche d'un enfant des paroles aussi amusantes qu'elles seraient terribles si elles étaient l'expression consciente des pensées d'un adulte.
Grimpant avec ma femme et mon fils la route qui mène au sommet du Ouen-Toro, nous croisons un bus rempli de touristes revenant de jouir du panorama qui s'offre aux regards quelques centaines de mètres plus haut. J'entends alors une petite voix familière qui s'échappe de la poussette tandis qu'une main pouponne me désigne le véhicule nous frôlant dans un virage: "Papa, camion de poubelles".

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Végétaux (09:43)

La sonnerie de l'interphone retentit. Ma femme décroche, écoute, parle, presse le bouton noir qui quatre étages plus bas actionne le mécanisme réglementant l'accès à l'immeuble, repose le combiné sur son socle mural, se dirige vers la porte de l'appartement, l'ouvre et attend sur le seuil. J'ai à peine le temps de sortir de ma douche, de démêler mes cheveux, arrachant au passage une pleine touffe blonde, d'enfiler un caleçon et un tee-shirt que déjà, mes oreilles perçoivent les deux notes annonçant l'arrivée de l'ascenseur. Il se stabilise à notre niveau et recrache nos deux visiteurs ainsi que leur précieuse et fragile marchandise. Je déplace un fauteuil et ouvre la baie vitrée pour libérer le passage. Le premier des deux hommes soulève l'azalée et son décor de fleurs roses pour le porter d'un seul effort jusqu'au bord gauche de la terrasse. Le second empoigne un pot contenant un palmier multipliant et, sous mes directives, vient le placer entre l'une des enceintes de la chaîne et le cube japonais en bois sur lequel repose le téléphone. Enfin vient le tour de l'hibiscus qui rejoint sur la terrasse les fleurs roses de l'azalée. La porte de l'appartement se referme, le bruit de l'ascenseur qui redescend s'estompe et je me retrouve seul avec ma femme, mon enfant, mon hibiscus, mon azalée et mon palmier multipliant. Je n'ai pas la main verte. Mon épouse, au contraire, affiche avec un optimisme béat ses prétentions et affirme qu'elle saura faire s'épanouir nos nouveaux compagnons végétaux. En sept ans de vie commune, elle ne m'en a pas encore fourni la preuve, mais c'était en d'autres temps, d'autres lieux, et qui sait si cet univers radicalement différent dans lequel nous évoluons aujourd'hui ne sera pas l'occasion de découvrir et d'exploiter des talents insoupçonnés. De toute façon, je ne peux m'empêcher de penser que sous un climat aussi favorable, où tout pousse sans même qu'il n'y ait besoin de le demander, faire mourir un palmier relève d'une mission impossible.
J'observe, reposant sur ses trois tréteaux, la large et longue planche de bois laquée de blanc qui nous sert de bureau. Sa surface lisse n'est pas restée longtemps vierge. Elle se trouve aujourd'hui encombrée d'une multitude de matériel informatique à l'esthétisme douteux, d'où s'échappent, telles les racines d'un banian dans la force de l'age, une logorrhée de fils électriques et de câbles de connexion qui tissent un réseau de mailles serrées dégorgeant le long du mur, courant contre les plinthes, s'unissant par endroits en de grosses verrues avant d'enfin rencontrer une prise salvatrice. Le rôle du palmier multipliant, avec son élégance naturelle et son parfum local, est de masquer de ses feuilles couvrantes le triste enchevêtrement de cette tignasse artificielle. Quant au deux autre plants, sur la terrasse, ils répondent à un noble coup de coeur féminin que je m'empresse ici d'approuver.
Mon attention reste portée sur le bureau et mon regard s'effraie un instant de la débauche de technologie qui y fleurit. Je suis hanté par l'idée d'être à la merci de cette machinerie complexe et fragile. Mon journal, ses mots, ses images, mon ouverture sur le monde, mes contacts avec ma famille ou mes amis en dépendent. La volatilité de cette mémoire électronique est aussi effrayante que peut être enthousiasmante et fascinante la capacité de la diffuser partout au travers de la planète. Et la logistique très lourde à mettre en oeuvre pour assurer la pérennité de mes instants personnelles n'est finalement qu'un modeste prix à payer au regard de la magie qui les transporte.

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[jeudi 14 août 2003]

Sous la lumière des phares. (21:27)

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[mercredi 13 août 2003]

Peintre d'un soir (14:41)

Ce soir là, juste avant que le soleil ne s'éteigne à l'horizon et que l'ombre de la nuit n'enveloppe la courbe parfaite de l'anse Vata, je me suis pris pour un peintre : j'ai fait de mon viseur une toile, de mon objectif un pinceau que je promenais en de longs mouvements assoiffés de vie sous la lumière mourante, de l'enfance naïve sur le sable chaud le sujet de mes tableaux, noyant les visages souriants dans le bleu de la mer et incrustant leur corps dans la plage gagnée par les ombres.

 

[S U I T E]

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[lundi 11 août 2003]

Le ponton (15:11)

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[dimanche 10 août 2003]

Palmes, masque, tuba : mode d'emploi (15:13)

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Dernière publication le samedi 06 décembre 2003 à 13:44

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