Petit texte à l'usage de la campagne électorale. J'insiste sur le mot "campagne".
L'Europe semble tout autant aux antipodes des préoccupations des
calédoniens qu'elle l'est de par sa position géographique. Alors que les
habitants du caillou sortent juste d'une campagne entièrement tournée
vers eux-même, durant laquelle tout ce qui venait de l'extérieur, de la
métropole en particulier, paraissait suspect, les voila de nouveau
conviés aux urnes, invités cette fois-ci à regarder très au delà des
frontières du lagon, ce qu'ils n'aiment en général pas faire. Déjà
circule la rumeur: cette seconde campagne arrive trop tôt, elle est trop
proche de la précédente, elle ne concerne pas directement ce pays,
n'étant après tout qu'un simple effet de bord d'une lointaine métropole.
Pourtant l'Europe d'Outre-Mer, malgré le coté paradoxal de cette
expression, est une réalité. Que ce fait indiscutable s'appuie sur une
histoire douloureuse n'est pas incompatible avec l'idée qu'il pourrait
se transformer en un vrai choix partagé par tous les calédoniens et
devenir un exemple enfin réussi de décolonisation, malgré les nombreux
écueils qui guettent les pays neufs en voie d'émancipation.
La Nouvelle Calédonie, à l'échelle de la planète, est un minuscule
archipel perdu au milieu du Pacifique. Certes et malgré ses criants
déséquilibres que ne cessent de montrer du doigt le Parti Socialiste, il
est riche. Mais cette relative opulence et le potentiel inexploité qu'il
détient encore ne suffit pourtant pas à cacher son extrême fragilité:
celle de son environnement exceptionnel bien sûr, mais aussi et surtout
celle due à sa position géographique qui en fait une proie extrêmement
désirable pour les deux grands blocs qui l'avoisinent: les Amériques au
sens large et la façade Asie-Pacifique. Ces deux ogres ont déjà bien
plus que leurs orteils posés sur le caillou et leur politique
ultra-libérale s'articule uniquement autour de l'argent et du pillage
des richesses au nom de la rentabilité immédiate, au mépris de l'homme
et de son cadre de vie. Rappelons pour exemple que les Etats-Unis et la
Chine ont refusé de signer tous les traités internationaux visant à
protéger l'environnement. Que serait une Kanaky en apparence souveraine
mais pratiquement dirigée par des multi-nationales étrangères? Le
danger en Nouvelle Calédonie ne vient pas de l'intérieur, comme quelques
manipulateurs se plaisent à le clamer depuis tant d'années. Le vrai
danger qui se dessine à l'avenir vient de l'extérieur. L'Europe est une
alternative crédible aux deux blocs précédemment nommés. Elle se
construit sur un modèle à l'opposé de l'ultra-libéralisme arrogant. La
Nouvelle Calédonie doit-elle donc se tenir à l'écart de cette
sociale-démocratie qui souffle sur vingt-cinq pays du monde, lesquels,
unis au sein d'une seule entité, représentent la première puissance
économique du monde, sans pour autant en faire payer le prix fort à ses
membres? Il ne faut pas penser l'Europe comme un nouvel empire colonial
qui fagocite ses prétendants au seul profit de son existence. C'est
exactement l'inverse. Tout comme la Nouvelle Calédonie, elle est un
véritable pays en voie de construction. Ne rentrent dans cet ensemble
que les états qui en font la demande et qui satisfont à certaines
règles, la démocratie étant un préalable incontournable à
l'acceptation. L'Europe n'épuise pas les uns au profit des autres. Elle
est l'exemple même du rééquilibrage tant demandé ici, sur le caillou,
l'argent coulant des pays les plus riches vers les pays les plus
pauvres, justement pour éviter une déstabilisation de l'intérieur.
Et si l'Europe sociale défendue par les socialistes, cette Europe des
hommes et non des machines, cette Europe des cultures et non de
l'argent, était tout simplement une formidable opportunité de
réconciliation entre les "loyalistes" et les "indépendantistes" de ce
pays, les premiers n'ayant plus rien à craindre d'une souveraineté au
sein d'un bloc puissant, sécurisant, et fondamentalement démocratique,
les seconds pouvant enfin, de leur propre choix et non sous les
contraintes de l'histoire, s'inscrire dans une sphère crédible qui
refuse, de par sa nature même, le modèle colonial. Paix, rééquilibrage
économique, destin commun, pluralité culturelle, citoyenneté: autant
d'idées qui sont inscrites dans l'Accord de Nouméa; autant de mots qui
président à la construction de l'Europe. Ce projet mérite mieux que les
vingt pour cent d'intentions de vote que la rumeur prête aux
calédoniens.