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Cailloux aléatoires

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Je les sème au fil de l'eau. Parfois mots, souvent images, toujours bruts.

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[vendredi 16 avril 2004]

L'enfer (21:42)

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[mercredi 14 avril 2004]

1620 secondes (10:49)

Depuis combien de temps est-il là, à me tourner autour, ne disant rien, sans autre contact que celui du bref sourire qu'il m'adressa un instant plus tôt et auquel je répondis brièvement avant de me concentrer à nouveau sur le petit écran cathodique habité par l'image baveuse d'une cassette fatiguée d'être trop regardée?

Je jette un coup d'oeil rapide sur l'horodateur du magnétoscope en marche: douze minutes. Mais si je compte les quelques arrêts ou même les retours que je me suis accordés pour prendre des notes, ce doit faire un bon tiers d'heure pleine que je suis ici, les fesses douloureuses posées sur un siège de la vidéothèque du centre culturel Tjibaou. Justement, Jean-Marie est devant moi. En ce moment même. Pourtant, l'époque est autre, vingt ans en arrière, en une journée ensoleillée de décembre 1984 qui voit s'élever et flotter dans le vent du sud-est le drapeau de Kanaky. Coule alors la voix du leader assassiné:

"Le vert, symbole de Kanaky, la couleur du pays.
Le rouge, symbole de la lutte du peuple kanak, symbole de notre unité, symbole de l'unité du FLNKS, symbole aussi du projet d'unité, avec tous ceux qui acceptent la république de Kanaky et sa constitution.
Le bleu, la souveraineté.
Le jaune, et ce soleil aujourd'hui au rendez-vous. Rendez-vous de l'histoire du peuple kanak. Merci au soleil. Merci à nos ancêtres d'être là."

Je presse un bouton pour immobiliser la bande. La lucarne s'habille de bleu, rideau effaçant le visage plein d'espoir de Jean-Marie Tjibaou. Je sens une présence dans mon dos. La même ombre qui rode. Mais toujours le silence. Le carré vitré s'anime sous l'impulsion de mon index. Changement de décors. C'est maintenant le vieux blanc qui me regarde, sûr de lui. Je sais d'avance qu'il va proférer une insulte à l'histoire de ce pays mais je le laisse s'adresser aux écouteurs qui me couvrent les oreilles:

"Je n'ai jamais accepté et n'accepterai jamais l'hégémonie d'une ethnie au détriment d'une autre."

Il ose, père tranquille dans sa chemise offerte aux alizés, le pantalon de tissus planté dans un univers inondé de plaines sauvages, cow-boy Marlboro que je m'attends à voir se couvrir d'un large chapeau, monter à cheval, tourner le dos à la caméra et s'éloigner vers le soleil couchant sur une musique d'Ennio Morricone. La brute ou le truand? Les deux sans doute.

Derrière moi, l'agitation d'un corps qui se calme enfin lorsque le vieux disparaît. Ce bruissement d'air entre mes omoplates éveille en mon esprit une petite voix lointaine, un son différent de celui qui jaillit présentement des écouteurs et sollicite mes tympans, un timbre ami que j'entendis la première fois au cours d'une soirée, prémisse à la tige froide et impudique qui sut depuis m'ouvrir à d'autres horizons.

"Tu sais, souvent, en tribu, tu peux voir de nombreux kanak trainer, tourner en rond dans une sorte de désoeuvrement qui choque l'occidental affairiste. Mais leurs pas répétés ne sont pas anodins. Leur oisiveté n'est pas gratuite. En réalité, ils demandent audience, sans jamais s'imposer. Ce comportement s'inscrit dans la coutume. La parole ne se prend pas. Elle doit être donnée. La disponibilité nonchalante de ces corps vagabonds, à première vue symptomatique de l'ennui, est tout simplement une quête silencieuse et respectueuse, dans l'ignorance du temps qui passe."

Je regarde le vert fatigué des cristaux liquides. Le mange-cassette affiche vingt-sept minutes. Vingt-sept minutes d'une incompréhension frôlant l'arrogance. Mille six cent vingt secondes arcbouté sur mes habitudes culturelles dans un interblocage qui aurait pu tristement s'éterniser. Mille six cent vingt grattements d'horloge coupé de la réalité dans laquelle je pensais baigner, nez collé à l'écran, crayon au bout des doigts, écouteurs enserrant les lobes.

Alors je me déharnache avec précipitation donc maladresse, me retourne en découvrant pacifiquement les dents et demande avec simplicité ce que je peux faire pour lui. Sans rancune malgré le laborieux chemin que je fis emprunter à l'évidence, le jeune mélanésien ouvre la bouche et commence à parler.

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[lundi 12 avril 2004]

L'homme noyé (15:00)

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[dimanche 11 avril 2004]

Le dépucelage (15:05)

Mon enfance est peuplée de légendes innocentes dans lesquelles le vierge pantin que je suis se découvre dans le regard des autres.

Ainsi ce rouge chemin de sanglants cailloux, dessiné par une main juvénile, maladroite et blessée, suivi par un père affolé face aux fruits trop mûrs sur le carrelage, dans l'angoissante ignorance de sa chair au bout de la route.

Ainsi ces fragments de terre cuite éclaboussant le sol de la cuisine, le rire fou du gamin qui s'acharne avec délice sur la fragile vaisselle, les yeux embués de sa soeur, terrorisée par la joie destructrice de ce corps plus jeune qu'elle.

Ainsi ces petits pieds insouciants dansant au milieu de sabots qui pourraient broyer, sans même s'en rendre compte, le fragile bout d'homme s'invitant dans l'arène. Et l'insolent bipède de regarder émerveillé ces chevaux gigantesques dont les têtes se perdent dans les nuages.

Ainsi ces lourds projectiles jetés avec application, langue sortie pour plus de concentration, dans un landau bien vivant de quelques mois d'age, au risque de blesser mortellement et de commettre l'irréparable.

Étrangement, toutes ces scènes dont je suis le héros n'existent que dans la mémoire des autres. Elles ne m'appartiennent que par douteuse transitivité. En grattant moi-même mes souvenirs d'une époque où j'avais moins de trois ans, je ne déterre que des images floues qui ne racontent pas vraiment d'histoires: une vitre rectangulaire au centre d'une porte de bois beige qui ferme ma première chambre; des murs gris qui attendent sous la pluie de Bretagne la première couche de peinture et le toit de la maison qui me verra grandir; la bande rectiligne de goudron noir qui accueille les quatre roues du vélo bleu que j'apprends dans les écorchures à domestiquer; la bétonnière éclaboussée de ciment qui tourne en crachotant, m'hypnotisant au point de me faire sublimer le métier ouvrier; le rose d'une façade amie, de l'autre coté de la rue...

Tourné vers mon passé heureux d'enfant turbulent mais sans problème, je lui arrache que des fragments paisibles, n'y lis que des birbes lisses, n'en sens que le doux miel, n'y récolte qu'un blé tendre germé sur un sol fertile, jalousement protégé et entretenu. Aucune aspérité ni source caché de névroses handicapantes. Je ne me suis pas construit dans l'adversité.

Il me faudra attendre vingt ans pour vivre ma première confrontation significative avec le monde extérieur, dans un long et violent corps à corps. Banale histoire de fesses après tout. Mais c'était la première. Et dans la bouche, le goût, nouveau, de l'échec.

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Dernière publication le samedi 24 avril 2004 à 22:26

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