Les
carnets australiens - Canberra
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Le
dimanche 18 janvier 2004
Le
tonnerre et les tremblements... J'ouvre les yeux sur Canberra.
J'ignore tout de cette ville, si
ce n'est qu'elle est la capitale de l'Australie. Et quand bien
même aurais-je su à quoi m'attendre que je n'aurais
pu m'y soustraire puisque notre présence ici est la conséquence
de l'invitation de l'ANU (Australian National University) à ma
femme et qu'elle est donc ici, non pour des vacances comme ce
fut le cas à Sydney, mais pour son travail de recherche.
Pour ma part, j'aurai donc les journées pour moi, libre
comme l'air à balader mon fils. En espérant qu'il
me laisse souffler un peu!
La
ville est déroutante, presqu'angoissante.
En fait, elle respire l'ennui, du moins au premier abord. Elle
a été créée sur plans, un peu comme
Brasilia, lorsque les australiens se cherchaient une capitale.
Sydney et Melbourne ne cessant de revendiquer ce statut ambitieux,
il a été imposé un parti tierce aux deux
belles rivales, une cité construite de rien, ou presque,
entre les deux prétendantes éconduites. Canberra
est donc construite au milieu de nulle part, tracée à la
règle et au compas. Trois cent mille habitants seulement,
mais pour une superficie supérieure à celle de la
ville de Paris. |
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Ici, tout n'est
qu'espace vert sillonné de grandes
avenues rectilignes, un peu comme si la capitale n'était autre chose
qu'un immense campus universitaire. Honnêtement, vivre ici, ce doit être
comme expérimenter une longue agonie, douce sûrement, calme
même, sans l'angoisse de la mort, mais avec la conscience pourtant
perpétuelle de son inéluctabilité. Et à peine
débarquer de l'avion, le coeur reprenant tout juste son calme après
le vol, de me demander comment je vais pouvoir occuper mes journées
ici.
Nous
sommes accueillis à l'aéroport par
les collègues de ma femme, des français que nous connaissons
depuis nos travaux académiques rennais. Nous officions tous dans
le même institut et même si pour ma part, je me suis aujourd'hui éloigné de
ce milieu pour vivre d'autres aventures, cela m'a fait du bien d'être
pris en charge dans cette ville par des relations bretonnes, surtout
qu'elles travaillent à Canberra depuis quelques temps déjà et
qu'elles semblent y survivre sans avoir le teint gris des gens qui flirtent
trop avec l'ennui.

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Nous logeons sur le campus de
l'ANU (qui se fond dans la ville comme s'il n'était qu'une maquette emboîtée
dans une autre) et l'appartement est très plaisant et convivial.
De plus, l'un des collègues de mon épouse me prêtera
sa voiture pour la semaine afin que je conserve toute mon autonomie.
Une
rapide balade guidée dans la ville
confirme ma première impression: Canberra est une pièce
rapportée que rien ne prédisposait à exister,
si ce n'est la mésentente et l'ego surdimensionné des
deux villes historiques du pays. Même l'immense lac au coeur
de la capitale est artificiel, créé à l'aide
de deux barrages.
Après
un repas obligé chez nos hôtes, nous nous endormons
dans notre nouvelle appartement, mon épouse un peu angoissée à l'idée
de se remettre au boulot et moi, inquiet de savoir comment je
vais pouvoir exister sans étouffer sur place.
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Le
lundi 19 janvier 2004
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Ma
femme est au travail et je suis seul avec mon fils. Sagement,
je décide de ne pas prendre la voiture
dès ce matin. Conduire à gauche dans une ville inconnue,
j'avoue que l'aventure ne me tente pas immédiatement. Heureusement,
le musée national d'Australie (National Museum of Australia)
est à deux pas de mon appartement. A pied et
en poussette, je le gagne rapidement, heureux de cette première
aubaine qui m'assure une matinée sans soucis et sans ennuis.
Architecture moderne, ambiance très graphique propice à quelques
images (sobres, mais c'est toujours bon à prendre), grandes
esplanades pour dégourdir le bambin sans le stresse des
voitures, le lieu me semble idéal.
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Et de
fait, je ne vois pas le temps passer. Entre
les pitreries du môme, mes tentatives photographiques (toujours avec
le Leica, le 50 mm summicron et la tri-X), la visite du musée proprement
dit (un peu foutraque mais vaste et ludique, avec quelques oeuvres aborigènes
intéressantes), j'aurais pu y passer la journée entière
sans m'ennuyer. Tant mieux. Si jamais je ne sais plus quoi faire en
fin de semaine, je pourrai de nouveau y faire un saut pour meubler quelques
périodes creuses.
L'après-midi est bien entamée déjà lorsque
je décide, après la sieste de la tête blonde, de tenter
l'aventure automobile, une vieille Toyota Camry d'un jaune délavé,
avec une boite automatique léthargique et des freins donnant de
dangereux signes d'usure. Tourner à gauche et mettre le clignotant...
et merde, ce sont les essuie-glaces qui se mettent à danser frénétiquement.
Tout est inversé sur cette foutue machine.
Finalement,
j'arrive à peu près à rouler
correctement sans prendre le mauvais coté de la voie. Par contre,
en moins de cinq minutes et quelques rares coups de volant, je me retrouve
complètement perdu dans cette ville où tout se ressemble:
des arbres, de l'herbe et des routes qui croisent d'autres routes passant
entre d'autres arbres poussant sur d'autres herbes.
Je prends
le plus souvent possible les premières
sorties que je trouve afin d'essayer de tourner en rond pour ne pas
trop m'éloigner de mes quartiers d'habitation. Et je tourne effectivement
pendant longtemps, sous une chaleur écrasante alors que la climatisation
de la Camry a du rendre l'âme depuis longtemps et que les bouches
d'aération ne me crachent à la figure que de l'air brûlant.
Heureusement le musée d'Australie finit par me sauver. Une pancarte
l'indiquant et son architecture visible à travers la verdure me
permettent enfin de m'accrocher à quelque chose de connue. Je rentre
finalement sans encombre dans mon appartement, Liversidge Court, sur
le campus. Mais le bilan reste modeste: quelques kilomètres d'asphaltes
parcourues, un peu de pétrole de brûlé, des routes, des arbres,
du gazon et ... c'est tout.
Ca promet!
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Le
mardi 20 janvier 2004
J'ambitionne
courageusement de reprendre la voiture pour emmener mon fils à Commonwealth
Park. Nous nous y sommes déjà rendus
le premier jour en compagnie des collègues français de ma
femme mais j'ai dans l'idée que je vais avoir du mal à retrouver
l'endroit.
Je me
sens déjà plus à l'aise avec
la Camry et la conduite à gauche. Je ne me trompe plus entre les
essuie-glaces et le clignotant, cesse de chercher la pédale d'embrayage
fantôme, anticipe la pression sur les freins pour pallier à leur
faiblesse. Par contre, trouver mon chemin entre ces routes et ces arbres
qui croisent d'autres routes et d'autres arbres restent encore une galère.
Je n'ai pour deux seuls repères que le sommet tétraédrique
du parlement australien sur lequel flotte le drapeau national et le
jet d'eau sur le lac artificiel, un peu à la manière de celui
de Genève, et baptisé ici du nom de "Captain Cook".
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Pourtant, à force de grenouiller toujours dans la même
zone, je finis par trouver le parking de CommonWealth Park. Pur
hasard bien sûr, mais qu'importe! Finalement, circuler dans
Canberra, c'est un peu comme de lancer deux dés en cherchant à faire
un double six. Statistiquement, on y arrive. La seule inconnue
reste le facteur temps.
Le parc en question est
immense, agréable malgré la
chaleur et des zones d'ombre qu'on aimerait voir plus nombreuses,
remarquablement entretenu. De l'autre coté du lac, je distingue
le parlement où siège l'assemblée australienne.
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Demain,
promis, je tenterai de franchir le pont qui me sépare des coulisses
du pouvoir pour aller le visiter.
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Le
retour se passe d'une manière identique à l'aller.
Je jette mes dés et le double six m'amène jusqu'au
musée bien connu maintenant. De là, je rejoins le
numéro 18 du Liversidge Court comme si j'y habitais depuis
longtemps déjà. Presque trop simple finalement.
L'après-midi
sera beaucoup moins ambitieuse. Je me traîne
de nouveau jusqu'au musée, m'arrête en terrasse du
café qui s'y trouve et profitant de quelques dollars en
poche, m'offre un breuvage que je laisse éterniser dans
sa tasse pour regarder le gamin s'amuser et se fatiguer dans un
lieu presque sans danger. Une aubaine pour la nounou un peu souffreteuse
que je suis déjà devenu en deux jours ici.
Le soir, malgré un programme finalement très lâche,
je me retrouve complètement cassé. Mon dos et ma
jambe gauche se mettent d'accord pour me jouer leur petite symphonie
douloureuse et je n'ai plus qu'une seule envie: m'allonger et
dormir. Nous déclinerons donc l'invitation d'une ex-rennaise
installée ici depuis 1996 avec son mari anglais (oui, à Canberra, ça
brasse beaucoup).
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L'extinction
des feux se fera pour moi avant 21h30.
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Le
mercredi 21 janvier 2004
Comme
prévu, je me décide aujourd'hui à attaquer
le parlement de ce pays-continent. Lassé de jeter des
dés
dans la voiture et d'attendre que le hasard me soit favorable,
je m'attelle au déchiffrage du plan de la ville et tâche
de me faire une représentation mentale du chemin qui
me mènera jusqu'à destination. Sans trop y croire,
je guide la Camry jaune sale aux freins fatigués sur
la file de gauche, tentant de jouer à l'australien du
coin qui, en chaque arbre, reconnaît l'endroit où il
se trouve. En moins de dix minutes, sans la moindre fausse manoeuvre,
sans actionner les essuie-glaces sous le soleil ni même
recevoir le moindre coup de klaxon pour conduite hésitante,
je me retrouve devant l'austère monument, moderne mais
froid, où se jouent les destinées
de l'Australie.
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La visite
du parlement est très intéressante même s'il faut
montrer patte blanche
à l'entrée, passer
sous les portiques, faire glisser les sacs sous les détecteurs
afin de les gaver de rayons qui fouillent leurs entrailles comme
dans un aéroport. A l'intérieur de l'édifice public,
luxe et volupté:
des halls immenses, parquets brillants et boiseries précieuses,
colonnes de marbre, cuirs... Rien n'est trop beau ni trop cher. Mais
au moins,
le public peut en profiter, gratuitement qui plus est.
Quelques
toiles aborigènes faisant partie de la
collection du parlement et exposées dans la galerie sont absolument
remarquables, même si leur style peut détonner en un tel lieu.
L'hémicycle est classique mais sent bon le cuir et le propre. La
salle des banquets vaut aussi le coup d'oeil. Le parquet en particulier,
ne
peut manquer d'attirer l'attention. A se demander même comment il
peut rester si impeccable avec tous les visiteurs que doit accueillir
l'édifice
quotidiennement. Pourtant, les lattes et les motifs restent parfaitement
ajustés. Il serait impossible de glisser ne serait-ce qu'une
fine feuille de papier à cigarettes entre les différents élément
du plancher.
Il convient de
rester sage en un tel lieu et des panneaux mettent en garde dès l'entrée les parents d'enfants turbulents.
Dois-je dire ici que je me sens particulièrement visé? Mais
la solennité du lieu semble impressionner ma chère tête
blonde sous casquette blanche. Sans devenir un modèle de sagesse,
il reste sous contrôle et ne s'avise pas de compromettre les relations
franco-australiennes, déjà complexes: le Pacifique Sud est
un vaste échiquier à dominance anglo-saxonne et le poil-à-gratter
tricolore n'est pas toujours du goût de ces messieurs de Canberra.
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Mais
ma visite se passe bien et sans incident notable. A la sortie
du parlement, me vient tout à coup une question simple,
mais dont je ne suis pas sûr de trouver facilement réponse:
que faire maintenant dans cette ville fantôme afin d'occuper
les deux jours qu'il me reste encore à y passer? A l'heure
ou je gratte mon petit carnet d'un feutre que ma patte gauche
s'empresse de diluer en traces noires inesthétiques,
je ne sais toujours pas ce qui m'attend tout à l'heure,
lorsque mon fils se réveillera de sa sieste.
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Le
jeudi 22 janvier 2004
Finalement,
hier après-midi, il ne s'est rien passé de plus. Si ce
n'est que ma soirée fut tout de même sauvée par une
sortie au centre-ville pour un dîner au restaurant. Fort de cette
expérience au coeur d'une
ville qui n'en compte pas vraiment, je me décide donc ce matin
à retenter l'expérience, de jour cette fois-ci.
Excellente
initiative puisque j'ai la chance de tomber, en pleine zone piétonne
et à l'air libre, sur une exposition
collective de photographies dont le thème est le SIDA dans la zone
Asie-Pacifique. "Positive&Negative", tel est le titre de
la manifestation qui synthétise la vision d'auteurs vivant en Australie
même si d'origines diverses. Deux photographes me marquent particulièrement.
Stephen Dupont d'abord, né à Sydney en 1967 et qui
présente un travail en N&B à la fois sensible et cru,
dans différents formats dont des panoramiques impressionnants de
construction et d'intensité ou des carrés percutants. Le
pays qu'il a mis en image est la Thaïland, très touchée
par le Sida pour les raisons que l'on sait. L'autre série qui m'accroche
presque jusqu'à l'hypnose a été conçue en Chine
par Ingvar Kenne, photographe d'origine suédoise mais résidant à Sydney.
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La
présentation, à base de polaroïd
moyen format, s'appuie sur des couleurs sobres et ternes qui
collent au sujet sans jamais sombrer dans le procédé envahissant,
un flirt moderne réussi qui évite le coté "trash" trop
souvent associé au milieu de la prostitution et de la
drogue. Les images sont sobres, presque dépouillées,
posées pour certaines sans que ça ne nuise au
témoignage. L'exposition dans son ensemble est de toute
manière très réussie, la plus aboutie de
ce que j'ai pu voir en Australie même s'il elle n'a pas
l'envergure ni l'ambition de la rétrospective consacrée à Tracey
Moffatt au MCA de Sydney. Je cite donc pour ne pas les oublier
les autres participants de "Positive&Negative" même
si parfois, je me sens moins en phase avec leur travail, soit
qu'il m'apparaisse trop consensuel, soit que je ne trouve pas
le fil directeur qui permet de lier les images entre elles et
d'entrer ainsi dans un univers autre: Lorrie Graham, Alice Pagliano,
Jack Picone.
Je clos ma visite du
centre ville par une visite du musée
consacré à Canberra, histoire de connaître
un peu le passé de cette étrange capitale jaillit
de nulle part.
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Le
vendredi 23 janvier 2004
Il est dix heures
du matin. Nous quittons Liversidge Court et notre appartement
de
cette semaine. Finalement, malgré mes
craintes, le temps à Canberra ne s'est pas écoulé interminablement.
Et c'est maintenant que je sais que je pars que je me rends compte
que j'aurais encore sans doute bien d'autres choses à découvrir,
ne serait-ce qu'autour de la ville (du moins pour les quelques
endroits qui n'ont pas été la proie des flammes du monstrueux
incendie de l'année dernière).
Le temps d'observer rapidement
quelques Kangourous sur les flancs d'un petit massif et déjà l'aéroport, déjà l'avion
pour Sydney, déjà celui pour la Tontouta.
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Nous
retrouvons un territoire dit de la "république".

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Je
redécouvre les pins colonnaires, mais aussi les grues de Nouméa
et les bâtisses mal fagotées qui viennent gâcher
un site trop beau pour pouvoir le rester...
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Le
dimanche 8 février 2004
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